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Mlle Bénédicte Rallu

Yves Lansoy, directeur de l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (ex-AMOTMJ), nous explique comment a été expérimentée une utilisation innovante de la loi MOP pour les nouveaux palais de justice.

achatpublic.info: Pourquoi avez-vous décidé de faire évoluer votre utilisation de la loi MOP ?
Yves Lansoy : « L’APIJ pratique la maîtrise d’ouvrage pleine et entière avec la loi MOP. Ces dernières années, elle a aussi pratiqué la conception-réalisation et les partenariats publics-privés, en particulier sur ses opérations pénitentiaires. On s’est rendu compte pour la conception-réalisation que la synergie entre l’architecte et l’entreprise apportait un certain nombre de garanties au maître d’ouvrage sur la réalisation du projet, sur la fiabilisation du calendrier et du coût. On tire les mêmes avantages du PPP avec en plus une bonne tenue en termes d’exploitation et de maintenance sur lesquels le partenaire s’engage. On a donc été amené à comparer les trois modes de dévolution. Dans la conception-réalisation et le PPP, l’architecte n’est plus indépendant dans le dispositif et se sent un peu bridé par un certain nombre d’impératifs liés à l’entreprise et aux coûts. Dans la loi MOP, on a le maître d’ouvrage, l’architecte et l’entreprise. Or, pour nos nouvelles opérations de construction de palais de justice, pour lesquels l’enjeu architectural est très important, il nous fallait maintenir un dispositif de compétition architecturale (tel qu’il existe dans la loi MOP) pour nous permettre de choisir un projet, avant de choisir une entreprise, tout en faisant évoluer le dispositif pour répondre aux préoccupations en matière de coûts, de tenue des délais, de qualité et d’exploitation-maintenance. »

achatpublic.info: Vous avez travaillé sur quatre points particuliers. Le premier porte sur le déroulé des études. Quel est-il ?
Yves Lansoy : « On fait en sorte, une fois que l’architecte est choisi, de ne pas avoir d’interruption entre les études (esquisses, APS, APD), qui sont souvent préjudiciables au projet et à la mobilisation des équipes. Le maître d’œuvre a ainsi une visibilité sur sa charge et une continuité de son travail. Mais cela nécessite une mobilisation importante de la maîtrise d’ouvrage qui doit travailler et avoir des échanges permanents en continu avec le maître d’œuvre. »

achatpublic.info: Le deuxième point consiste à prendre en compte très tôt les enjeux d’exploitation et de maintenance. Comment opérez-vous ?
Yves Lansoy : « L’idée est d’avoir une préoccupation forte sur les enjeux d’exploitation et de maintenance dès le concours. 

Dès la mise en concurrence, nous questionnons les architectes sur ces sujets, mais aussi lors de toutes les phases d’études

Dès la mise en concurrence, nous questionnons les architectes sur ces sujets, mais aussi lors de toutes les phases d’études. Nous demandons à l’architecte de réfléchir, de s’engager et d’apporter un certain nombre de réponses sur la facilité d’entretien, la facilité d’accès aux installations techniques, sur le chiffrage des coûts d’entretien, de remplacement des installations, etc. L’architecte est beaucoup plus investi dès le départ sur ces sujets. »

achatpublic.info: La troisième partie du dispositif porte sur ce que vous appelez la qualité chantier. En quoi cela consiste-t-il ?
Yves Lansoy : « Dès la conception et tout au long des études, on challenge l’architecte sur la mise en place d’un « schéma contrôle qualité » dans lequel il décrit et imagine les points du chantier (points d’arrêts, points de contrôles, identification des acteurs pour contrôler, préconisations de tests particuliers) sur lesquels il va falloir être particulièrement attentif au fur et à mesure de l’état d’avancement du chantier en fonction des particularités de l’opération. Cela peut porter sur les fondations, sur l’enrobage des bétons, sur le clôt couvert (un moment important dans la réalisation d’un bâtiment) : il s’agit de vérifier à un moment donné que tout est en place avant de continuer le chantier (passage de câbles, réalisation de canalisations avant de refermer des plafonds par exemple). Ces choses paraissent évidentes, mais lorsqu’elles sont décrites et réfléchies, elles permettent d’anticiper un peu le déroulement du chantier et de garantir une bonne exécution du projet. Ce schéma « contrôle qualité » va être ensuite développé par l’entreprise titulaire du marché de travaux qui s’engagera sur des jalons contractuels. Si les tests ne sont pas concluants, cela pourra empêcher la poursuite du chantier ou donner lieu à des pénalités. »

achatpublic.info: La dernière évolution du dispositif consiste à lancer une consultation sur la base d’un avant-projet définitif pour permettre un dialogue de finalisation entre maître d’œuvre et entreprise. Comment cela est-il rendu possible ?
Yves Lansoy : « Cette évolution est la plus importante. On anticipe la consultation des entreprises pour créer avec l’attributaire du marché de travaux une phase de collaboration entre lui et le maître d’œuvre sur la finalisation des études quant à des points techniques calés par le maître d’œuvre. Ce dialogue permettra d’optimiser le projet, de faire en sorte que l’entreprise se l’approprie de manière plus importante et y adhère. Elle s’engagera ensuite sur les dispositions techniques qu’elle aura à réaliser, sur le calendrier précis (global et sur les jalons qualité), et sur un coût. »

achatpublic.info: Raison pour laquelle vous avez des marchés de travaux à deux tranches ?
Yves Lansoy : « Tout à fait. La tranche ferme porte sur cette phase de travail collaboratif entre l’entreprise et le maître d’œuvre relative à la finalisation du projet, du calendrier, du schéma qualité. Elle intègre aussi  la réalisation du quelques travaux préparatoires. A cela s’ajoute, s’il le faut, la réalisation de prototypes pour effectuer des tests ou valider des principes. Cette tranche ferme conduit à la finalisation du PRO (projet technique détaillé proprement dit) sur lequel l’entreprise doit s’engager. Si, à l’issue de cette phase, tout le monde est d’accord et si le travail collaboratif a été fructueux, on affermira la tranche conditionnelle portant sur les travaux objet du projet. La condition est que l’entreprise s’engage sur le PRO. Cette phase permet de régler les problèmes en amont plutôt que pendant le chantier. Toutes les choses sont mises à plat car il peut y avoir des oublis, des incohérences. C’est le moment pour discuter de tout cela. L’entreprise peut ainsi s’engager sans la moindre réserve. Ce travail se fait sous contrainte de coût (celle de l’offre de l’entreprise titulaire du marché) et sous la responsabilité du maître d’œuvre suivant un schéma qu’il a défini. »

achatpublic.info: Où en êtes-vous dans l’application de ce dispositif ?
Yves Lansoy : « Nous y avons réfléchi et l’avons développé pendant deux ans en interne avec des architectes, des bureaux d’études et entreprises du bâtiment. Nous sommes en train de le mettre en œuvre pour les palais de justice neufs. 

Toutes les consultations de concours d’architecture depuis un an et demi ont été lancées sur ce principe en attirant bien l’attention des candidats sur ce nouveau dispositif

Toutes les consultations de concours d’architecture depuis un an et demi ont été lancées sur ce principe en attirant bien l’attention des candidats sur ce nouveau dispositif et en leur expliquant. Aujourd’hui sur les projets les plus avancés, nous sommes à la veille des phases collaboratives entre architectes et entreprises. Celles-ci sont sélectionnées, on leur a expliqué le dispositif. On attend les premières réponses. »

achatpublic.info: Comment les architectes ont-ils réagi ?
Yves Lansoy : « Nous avons eu des échanges en amont. La consultation sur APD et le fait de finaliser les études avec les entreprises sont les points qui ont le plus surpris. Avec la mise en œuvre, ils ont maintenant bien compris les enjeux pour le maître d’ouvrage : fiabilisation du coût et des délais, qualité chantier, exploitation- maintenance, optimisation du projet avec l’entreprise. Les architectes avec qui on travaille aujourd’hui y adhèrent. Les architectes se sont organisés pour répondre à nos attentes sur le développement durable, l’exploitation-maintenance. »

achatpublic.info: Il est encore un peu tôt connaître la réaction des entreprises, mais avez-vous déjà des échos ?
Yves Lansoy : « Nous avons présenté le dispositif aux organismes représentant le bâtiment qui l’ont bien accueilli car les entreprises ont des choses à apporter à un projet. Elles y voient une valorisation de leur savoir-faire. En outre, pour chaque projet, lorsque les entreprises ont été sélectionnées, il y a des réunions spécifiques pendant la consultation avec chacune pour leur expliquer le dispositif, les enjeux et nos attentes. Nous avons déjà eu ce premier contact. Les entreprises sont sensibles à ce nouveau dispositif. La difficulté que l’on peut avoir est qu’elles doivent, dès la notification du marché de travaux, mettre en place une capacité d’expertise technique et d’études importante pour pouvoir échanger de manière fructueuse avec l’architecte dès le départ. »

achatpublic.info: Ce dispositif ne risque-t-il pas d’exclure les PME ?
Yves Lansoy : « Elles ont la capacité de s’organiser pour répondre à nos attentes pour la finalisation du PRO. C’est un reproche qui nous est parfois fait. Mais nos projets sont d’une certaine ampleur,  et au vue des premières consultations, cela n’est pas un frein. Nous cherchons à diversifier nos cocontractants et il semble qu’on y arrive. Nous sommes sur des montants assez conséquents et les entreprises qui répondent savent se doter des compétences que nous demandons. Je ne suis pas sûr que ce dispositif soit adapté à de tous petits projets. »

achatpublic.info: Peut-il être mis en œuvre par tout type de maîtres d’ouvrage selon vous ?
Yves Lansoy : « Il faut des compétences et une maîtrise d’ouvrage respectée aussi bien par la maîtrise d’œuvre que par l’entreprise. Elle doit savoir faire des choix et arbitrer. Faire en sorte d’assurer la continuité des études nécessite des échanges continus entre la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre, donc un investissement important. 

Il faut des compétences et une maîtrise d’ouvrage respectée aussi bien par la maîtrise d’œuvre que par l’entreprise

Il faut donc qu’il y ait, au sein de la maîtrise d’ouvrage, des gens disponibles, prêts à s’impliquer dans le dialogue avec le maître d’œuvre en interface avec le futur utilisateur (pour avoir un projet en adéquation avec le besoin) et ensuite prêt à s’investir dans toute la phase de travail collaboratif entre maître d’œuvre et entreprise. Elle doit les accompagner pour qu’il n’y ait pas de dérive, pas d’entente, ni de clivage. C’est une équipe qui doit travailler ensemble. »

achatpublic.info: Quel en est l’impact en termes de coûts ?
Yves Lansoy : « Au final, cela devrait coûter moins cher. Si le projet est fiabilisé en amont, c’est moins de mauvaises surprises en phase chantier. Pour la pérennité, l’exploitation-maintenance, le projet est mieux pensé, mieux étudié, mieux réalisé, donc moins cher en coût global. Sur les parties études, maîtrise d’œuvre, nous avons senti un léger surcoût mais qui est dû à des missions complémentaires que l’on a données au maître d’œuvre. Cela reste minime par rapport au montant global de l’opération. Sur les offres travaux des entreprises, nous ne savons pas encore, mais il n’y a pas de raisons que les choses coûtent plus chères. Le travail que va faire l’entreprise avec le maître d’œuvre dans sa phase de développement du PRO est un travail qu’elle aurait fait de toutes façons en parallèle ou après. Elle le fait en anticipé, cela ne devrait pas surenchérir le coût des marchés de travaux. Sur la qualité, les contrôles devraient être faits normalement. Se poser les bonnes questions en question en amont fait faire des économies à tout le monde. On espère donc que cela ne coûtera pas plus cher. »

© achatpublic.infoPar : Mlle Bénédicte Rallu
 

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